Explosion de green bonds : bonne ou mauvaise nouvelle ?

— Conseils pour investir — lecture en 11 minutes

L’ICMA (International Capital Market Association) se réunissait hier à Paris sur le thème des Green Bonds Principles. A défaut de consensus international, le secteur financier a pris l’initiative de s’autoréguler en édictant des règles régissant les fameux Green Bonds, ces obligations destinées à financer des projets ayant un effet positif sur l’environnement. La journée aura été jonchée de bonnes nouvelles, notamment sur les volumes en explosion, sur le nombre d’émetteurs chaque jour plus important, l’intérêt croissant des investisseurs et la professionnalisation de l’approche. Pour les spécialistes de l’impact investing, des défis subsistent – relayées par les organisateurs eux-mêmes très transparents sur le sujet – à propos de la nature des sous-jacents, de la personnalité des émetteurs et de la réalité de l’ouverture aux parties prenantes.

Welcome to Paris for the Green Bonds ! 

 
Comme beaucoup d’autres expressions anglaises dans leur version parisienne, le « welcome to » devient « welcome in ». Ça n’empêche pas un contenu de qualité et ajoute à l’événement cette dimension multi-local-english à la fois pittoresque et internationale : il y a toujours un paneliste allemand qui tente vainement de comprendre une question japonaise. Le décor est planté et - ne boudons pas notre plaisir - autant de nationalités se réunissant dans la ville lumière pour les Green Bonds, c’est un peu l’ONU de l’impact investing, reçue en grande pompes à la bourse avec des intervenants de prestige tels que Gerard Mestrallet ou René Karsenti. 

Mais que sont ces Green Bonds ?


Ce sont des emprunts destinés à financer exclusivement des projets verts. A défaut de consensus international, le secteur financier a pris les devants en avançant sa propre définition. Toute émission obligataire répondant aux conditions pourra désormais se targuer de l’appellation commerciale de Green Bonds aux yeux de l’ICMA.

Les green bonds sont toute forme d’obligation dont le produit est alloué exclusivement au financement ou refinancement, en tout ou partie, des projets, nouveaux ou existants, qui sont « éligibles » et présentant 4 caractéristiques.

En gros, les projets « éligibles » recoupent les catégories environnementales et climat des Objectifs de Développement Durable de l’ONU (Energie renouvelable, Transports passifs, Océan, Déchets, cycles de production / consommation responsable, Smart Cities etc). 

Les conditions sont :

  1.  Utilisation de la totalité du produit pour un ou plusieurs projets éligibles ;
  2.  Une méthodologie claire de sélection et évaluation des projets ;
  3.  Une gestion individualisée de l’affectation du produit, traçable au sein d’un véhicule isolé, de manière à pouvoir démontrer aux investisseurs que leur investissement ne se dilue pas dans d’autres projets de l’émetteur.
  4.  Un reporting régulier et transparent permettant à l’investisseur de vérifier la réalité de l’allocation et le suivi des projets.

2016, l’explosion 


Apparu de manière organisée au lendemain de la crises financière de 2007, le marché des Green Bonds est finalement assez récent et reste confidentiel. Il ne représente que 1% du marché obligataire total. Mais la croissance est exponentielle. De 10 milliards en 2013, il est passé à 90 milliards en 2016 et a déjà atteint 46 milliards pour le premier trimestre 2017. 

Les investisseurs les plus intéressés sont les femmes et les jeunes. Une enquête en wealth management indique que 71% des femmes de moins de 40 ans sont prêtes à changer de gestion de portefeuille au profit du « green ». Les gestionnaires classiques, dont les techniques très datées XXe siècle vont décliner avec leur clientèle de baby-boomers masculine et vieillissante, ont intérêt à se renouveler très vite. 

Le nombre d’émetteurs est aussi de plus en plus important. Démarré à l’initiative des institutionnels supranationaux, l’émission de Green Bonds s’est rapidement répandue chez les gouvernements nationaux et se diversifie aujourd’hui rapidement chez les entreprises privées. A noter par exemple, ce véritable Green Bond Program de la SNCF qui finance l’ensemble de la rénovation du réseau ferroviaire par des Green Bonds a sous-jacent liés à la mobilité.

Forte de sa réputation post COP21 et d’un aménagement législatif sur mesure, la France mène la danse des émissions avec 13,2 milliards USD, suivie de la Chine avec 7,5 milliards USD et des Etats-Unis avec 6 milliards USD. Les projections à venir ne donnent pas de grands changements sur le podium malgré la position Trumpienne. Quoique. Il est bien possible que la Chine grimpe en tête dès 2017. Ma Jun, Chief Economist de la Bank of China, a appelé à la collaboration internationale pour soutenir l’effort de l’Empire du milieu qui – on le sait - s’est récemment réveillé en suffoquant. Les villes chinoises sont devenues des enfers respiratoires et le gouvernement a mis en place une politique volontariste faite d’incitants et de cadres contraignants pour reverdir la Chine. Rien que cette année, le montant des Green Bonds devrait s’élever à 36 milliards USD et la croissance annuelle prévue est de l’ordre de 200% par an sur les 10 ans qui viennent, essentiellement pour l’énergie verte et les transports. Le partenariat de mai 2017 avec la Californie n’est pas qu’un manifeste politique.

Des asset managers spécialisés comme Amundi sont au premier rang de la structuration. En collaboration avec IFC, ils viennent d’émettre des Green Bonds pour un montant de 2 milliards (en cours de récolte) pour soutenir la création d’un marché de Green Bonds dans les pays en voie de développement. Ce type d’actif permettrait de combler une case encore vide de ce marché « Emerging Green Bond ». Rendement attendu de 4% brut. L’IFC se charge des techniques d’absorption des risques. Mais des opérateurs plus mainstream s’engouffrent dans la brèche, comme le tout nouveau Fund of Green Bonds Funds de BlackRock.

Côtés investisseurs, les développements se font tant vers les plus grands que vers les plus petits. Zurich Insurance et Axa ont déjà souscrit à quelques milliards alors que MyMicroInvest travaille sur la micro-distribution pour améliorer la gestion des parties prenantes, notamment l’inclusion des populations locales aux bénéfices des implantations de renouvelables de type éolien.

Pluie contre pétrole


 Des produits secondaires commencent à voir le jour. Particulièrement innovant, on pointera le hedging « Pluie contre pétrole » de la Banque Mondiale au profit de l’Uruguay. Ce pays a la particularité de beaucoup investir dans la production hydraulique d’électricité, ce qui crée une dépendance économique par rapport à… la pluviosité : un réservoir vide produit moins qu’un réservoir plein. En cas de faibles pluies, le mix énergétique de l’Uruguay redeviendrait plus dépendant du pétrole et de sa volatilité. Il était donc nécessaire de couvrir ce risque pour garantir une meilleure stabilité du rendement du renouvelable.

 Les défis auxquels le marché des Green Bonds doit faire face sont nombreux. C’est justement le rôle du comité GBP (Green Bond Principles) de tenter d’y trouver des solutions.

Bien sûr, on retrouve ici les grands défis de la finance : 

  • Court-termisme induit par une approche 100% financière de Bâle III ou Solvency II qui favorise un maximum la liquidité et donc rend difficile des schémas de financement long terme qui sont typiquement ceux qui sont nécessaire pour les projets verts ;
  • Marché en développement pour lequel les outils conventionnels sont inadaptés, notamment l’absence d’évaluation des risques d’externalité ou de mesure d’impact
  • Le pipeline des bons projets à financer
  • Quelques pièces de puzzle qui manquent encore pour parfaire l’écosystème, notamment sur les marchés secondaires
  • Concurrence d’une myriade de labels, consultants, méthodes et réviseurs externes dont chacun se complaint dans une attitude de différenciation par rapport aux autres pour définir ce qui est vert ou pas alors qu’il faudrait au contraire une convergence des termes et des méthodes pour aider les acteurs de terrain à s’y retrouver. En attendant qu’un vrai standard émerge, il y à boire et à manger dans le grand bal de l’environnement.

Le danger du Green Washing refait surface


 Il y a aussi des défis propres liés à la nature du marché, et qui sont eux plus profond parce qu’ils mettent en œuvre la notion de cohérence holistique. Sans une telle évolution, le risque de Green ou Social washing reste très voire trop présent dans le marché des Green Bonds, sapant la crédibilité de ce marché tellement utile.

D’abord l’approche holistique ou systémique des projets. Dans la salle à côté des Green Bonds se trouvait celle des Social Bonds. Les bonds couvrant l’un et l’autre devenant des « Sustainable » Bonds selon l’ICMA (on remarque au passage qu’il n’y a pas – encore ? - de Governance Bond). Mais que se passe-t-il si au sein d’un projet réputé Green, la donne sociale n’est pas respectée ? On pense par exemple à un barrage hydraulique dont la construction ne respecte pas le droit des populations locales. La réciproque est également valable. Que dire d’un projet de développement agricole soutenant les populations locales dont l’exploitation révèle de graves carences environnementales ? Le paradoxe pourrait conduire à la création d’un Sustainable Bond couvrant les deux projets, alors que l’un annule l’impact positif de l’autre. C’est pourquoi il nous semble utile de recourir à la notion de net positive impact, notamment développée par l’UNEP : chaque projet doit démontrer un impact positif sur au moins un aspect de durabilité et, en même temps, ne pas nuire aux autres.

Ensuite sur la personnalité des émetteurs. Comme le Green Bond n’est défini que par le projet qu’il finance, faut-il autoriser l’émission de Green Bonds pour un projet éligible développé par une multinationale par ailleurs notoirement polluante ? Il y a clairement deux tendances et une voie médiane. Les partisans de la realpolitik soutiennent qu’il faut l’autoriser parce que tout projet positif est bon à prendre et qu’il vaut mieux encourager les entreprises à commencer quelque part. De l’autre côté, la ligne dure qui voudrait ne pas l’autoriser parce que le projet risque d’être utilisé comme une façade et qu’il peut contribuer à renforcer la position financière d’une entreprise polluante qui devrait plutôt changer le cœur de son business model. La voie médiane consisterait à vérifier si le projet s’inscrit dans une véritable démarche responsable couvrant l’ensemble de l’entreprise. Plusieurs cas de fournisseurs d’énergie ont été relevés. A suivre !

Enfin, l’engagement des parties prenantes reste un point d’attention critique de ce type de forum. La simple présence du WWF dans un panel ayant donné lieu à quelques échanges de vues sans grande nuance, on se dit qu’il y a encore du chemin à faire pour donner à ses Green Bonds l’ouverture qu’ils méritent aux avis d’experts même lorsqu’ils ne plaisent pas aux financiers. Le but ultime de ces bonds n’est-il pas de sortir de l’ornière dans laquelle on se trouve et qui nous mène à utiliser les ressources de l’équivalent de plusieurs planètes alors que nous n’en avons qu’une ?

De 100 à 1000 milliards


 Quelle évolution prévoir pour les Green Bonds ? La réponse est assez simple : une belle croissance à deux voire 3 chiffres pendant quelques années encore.

En effet, les quelques rayons qui passent à travers les nuages sont encore beaucoup trop limités pour représenter une embellie significative. C’est une tendance. Mais la tendance devrait passer au moins à 1000 millards USD - chiffre hallucinant pour lequel les anglais ont inventé le « trillion » - d’investissements annuels pour rencontrer les défis de la COP21. Nous sommes donc clairement en retard sur le programme et plus personne ne semblait croire à l’objectif de 1,5 degré à un point tel que la plupart des interlocuteurs ne parlaient que de « l’objectif de 2 degré ».
Plusieurs autorités publiques se positionnent comme les champions des Greens Bonds. A ce titre, Paris tient un rôle particulier avec des forums comme Paris Europlace ou Paris Initiative Finance Durable qui vient de lancer le projet « La Finance de demain ». L’Europe et les Nations Unies ne sont pas en reste.

Gageons que l’enthousiasme des participants soit la base de la démultiplication nécessaire pour pouvoir revenir l’année prochaine avec des nouvelles encore meilleures.